Patrick Levy-Waitz - la société française à l'épreuve des grandes transformations
Dans les années 1990-2000, la révolution numérique crée l'engouement. Grâce à elle, 30-40% de la population peut créer, innover, structurer quelque chose de nouveau. C'est un phénomène qui se concentre dans les métropoles, là où les infrastructures sont mises en place et donnent accès à internet. "En même temps, les chaînes d'information émergent et montrent à une partie de la population française que des choses formidables se passent, mais que ce n'est pas pour elle. Ce n'était sans doute pas pour les territoires loin des métropoles, ruraux, insulaires. Là-bas, on ne peut pas passer une pièce word ou un pdf par les tuyaux, parce que les réseaux n'existaient pas. C'était en 2000." En 2017, encore 15 000 zones blanches sont recensées en France. Avec le déploiement de la fibre - à l'image du programme d'aménagement lancé en Corse - prochainement, on pourra probablement assurer à chacun partout sur le territoire l'accès au même service. Cette révolution, à l'image de la naissance de l'électricité, transforme profondément la société. "On travaille différement, on vit différement, on consomme différemment, on vend différemment. On rapproche des territoires, des citoyens qui peuvent désormais faire un certain nombre de choses à distance."
La transition écologique est une transition vitale : "Alors qu'on nous avait martelé que le beau, le grand, le lointain étaient beautifiul, d'un coup, on redécouvre le local, la vertu du local, de la proximité et le fait qu'il n'y aura pas le choix que de retrouver, de refaire de l'activité dans les territoires." Demeure une question, centrale : Comment ?
La révolution numérique et la transition écologique se déploient après une transformation destructrice : la désindustrialisation du pays. "Nous sommes dans un pays où nous avons cru que si nous ne produisions pas, si nous n'avions que des services, nous pouvions réussir, avoir une économie durable." La crise du Covid a montré les limites de cette croyance. Dans un contexte où l'Etat n'a pas su s'organiser efficacement, des citoyens ont produit 5 millions de visières solidaires et des milliers de pièces détachées ont été construites pour les besoins en réparation de matériels défectueux ou usés dans des hôpitaux ou des EHPADs. "On a redécouvert que faire dans la proximité avait un tantinet d'intérêt".
Ce phénomène présage d'un retour en force des territoires. "Nous sommes dans une société où, si les citoyens ne vont plus voter, jamais nous n'avons été aussi attirés pour faire des choses ensemble, pour reprendre notre destin en main, dans sa réalité quotidienne". Il repose sur deux modifications sociétales majeures. La place du travail a changé : "la génération qui arrive considère que travailler jours et nuits n'est pas l'alpha et l'omega". Ce qui est souhaité est de parvenir à un équilibre sain entre vie privée et vie professionnelle. En France, le bénéfice des 35h est gommé par l'existence de long trajets foyer-bureau : " J'ai écrit il y a 15-20 ans un livre qui s'appelle j'aime ma boite, elle non plus. Nous étions sans doute l'un des seuls pays occidentaux à ne voir nos gosses ni le matin ni le soir, à cause des temps de transport, malgré les 35h. Nous avons conçu le travail éloigné de la zone où l'on vit." Retrouver des marges de manoeuvre dans notre quotidien passe par le retour à la proximité, par faire des choses ensemble près de chez soi.
La naissance des tiers lieux et leur développement ces 5 dernières années s'inscrit dans ces mutations majeures. Ils répondent à un besoin ressenti de repasser par le travail ensemble, la solidarité, l'inclusion, autrement dit de fabriquer une société où le collectif est au coeur de nos actions.
Pour aller plus loin :
- L'audio de la présentation
- Patrick Levy-Waitz et Yves Messarovitch, J'aime ma boite elle non plus, Hachette Littératures, 2006.
- La seconde allocution de Patrick Levy-Waitz, plus spécifiquement dédiée aux tiers lieux.