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Table ronde - Enjeux et perspectives
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Table ronde - Enjeux et perspectives

 

De gauche à droite :
Françoise Huguet (OPRA, Bastia), Jean-Laurent Vellutini (DRARI), Catherine Léger-Jarniou (Académie de l'entrepreneuriat et de l'innovation), Jean-Felic Acquaviva (député et élu territorial), Vannina Bernard-Leoni (Directrice du Pôle Innovation et Développement de l'Université de Corse) et Jean-François Poli
(maire de Speloncato)

La table ronde est d'abord l'occasion de revenir sur les origines des tiers-lieux représentés. Adossé à l'université, le tiers-lieu du Palazzu Nazionale répond à un double besoin local : celui de créer un lieu pour les étudiants-entrepreneurs d'où la création d'un espace de coworking, et celui de contribuer à la relance de l'artisanat local (en plus et au-delà de la résidence Fabbrica Design), d'où la création du fablab pour mutualiser des outils de production. Le fablab de Bastia a été créé dans la continuité des actions menées par l'OPRA en amont, en termes d'insertion sociale, professionnelle et d'animation jeunesse. Le Coworking IMAGINA de Speloncato répond au besoin de travailler à proximité de chez soi. Il donne lieu à un renversement des logiques dans l'arrière-pays de Balagne : 

"Du lien social, il y en a. C’est un village qui a déjà 300 habitants. C’est une petite commune, mais il y a déjà de la vie. On est à la croisée de trois pieve donc on dessert un bassin de vie entre 1500 et 2000 habitants. Donc quand on a créé ce coworking, on s’est dit, on va essayer d’amener des gens de l’extérieur. On est sorti du schéma traditionnel du logement. Quand on crée du logement, les gens viennent habiter mais vont travailler ailleurs. Là c’est l’inverse. Ci so ghjente chi venenu a travaglià in Speloncato. Passanu à so ghjurnata è voltanu ind’è elli. Du coup, ça les fait se restaurer. Ça a permis une activité économique : les restaurants sont généralement ouverts l’été mais là, il y en a un qui a joué le jeu et il est ouvert toute l’année. Il permet aux coworkers de se restaurer sur place."
Jean-François Poli

Les échanges avec la salle permettent de signaler d'autres initiatives à l'oeuvre : l'AFPAESE répond aux besoins de l'AFPA d'optimiser son lieu, de diversifier ses actions tout en gardant le fil rouge qui est la formation des adultes et de penser alors le développement de la formation en réseau sur l'ensemble de l'île. La petite coworkeria d'Ajaccio est aussi mentionnée, de même que des projets en émergence tels que le couvent d'Alando, le couvent Saint-François de Sainte-Lucie-de-Tallano, ou encore un projet de tiers-lieu en EHPAD... 

"Pas plus tard que la semaine dernière, j’ai eu le coup de fil d’un directeur d’EPHAD à Vico qui répond à un appel à projet de création de tiers-lieu en EPHAD pour favoriser la relation entre la population résidente de ces EPHAD dont on sait qu’elle peut être parfois sur une logique de coupure par rapport à sa vie d’avant, du territoire sur lequel elle est implantée, pour qu’il y ait de nouveau du lien entre le dedans et le dehors. C’est intéressant de voir que d’autres secteurs d’aménagement du territoire, et notamment des populations en perte d’autonomie, commencent à se saisir aussi de cet objet tiers-lieux."
Vannina Bernard-Leoni

Tous ces tiers-lieux partagent des principes. 

  • La mixité, l'hybridation des publics est une valeur portée par les tiers-lieux. Elle repose sur la diversité des activités proposées, mais aussi sur la convivialité et l'écoute (intergénérationnelle notamment).

"Le principe des tiers-lieux, c’est d’être ouvert à tous. Une fois que c’est dit, ça ne se fait pas tout seul. Il faut mettre en place une série d’activités, d’animations pour que les gens aient envie de venir et comprennent quelle peut être leur place. Alors effectivement, il y a des jeunes et moins jeunes qui viennent pour entreprendre, utiliser l’espace de coworking et utiliser les machines du fablab, dont des professionnels et des artisans qui sont de plus en plus nombreux à venir et qui viennent aussi se former à ces machines pour faire évoluer leur méthode de production artisanale et parfois pour créer une entreprise artisanale. Et on a un volet animation pour tout public. Ça peut aller de la cuisine à l’atelier manuel type tricot, jardinage, compostage. On essaie de faire en sorte d’être un lieu de rencontre, de proximité. Pour finir, un tiers-lieu, c’est aussi un objet politique où ça répond à une vision du monde où on est en permanence en train d’hybrider."
Vannina Bernard-Leoni

  • L'échelle humaine

Les intervenants s'entendent sur l'idée que les tiers-lieux sont des phénomènes qui se conforment facilement au territoire corse. Ils peuvent contribuer à dépasser le modèle du tout-tourisme pour promouvoir un modèle économique plus équilibré et prospère, fondé sur un réseau de petites unités de production : 

"Et pourquoi on crée de la valeur ? C’est ça le sujet : comment on se la répartit ? Et ce n’est pas seulement de la valeur économique. C’est aussi la solidarité. Donc il s’agit d’accompagner un mouvement déjà en cours, qui est naturel parce que correspondant à une sociologie et une culture de la Corse qui est des unités de production de petite et moyenne taille dans une fonction de solidarité et de maillage avec le territoire, croiser des activités complémentaires. On parle aussi d’agriculture et d’autonomie alimentaire qui se développe aussi qui est un objet politique majeur à développer, avec des fonctions culturelle et patrimoniales." Jean-Felix Acquaviva

  • La sobriété et l'ingéniosité 

"La ville nous a fait une demande particulière, de créer des composteurs pour un jardin partagé. C’était en période scolaire. Des jeunes sont venus construire ces composteurs avec comme matière, non pas d’acheter de la matière mais on a récupéré une partie de la scénographie du festival de la BD de Bastia. Donc on est dans une volonté de mutualiser à la fois les matières premières, mutualiser les compétences et faire en sorte aussi que ce lieu soit ouvert vraiment à tous." Françoise Huguet

  • Horizontalité et gouvernance partagée. Si, en Corse, de nombreux tiers-lieux appartiennent à des collectivités, leur pilotage est pensé, en pratique, avec l'ensemble des usagers du lieu. 

"Il y a une gouvernance à créer. Il y a une gouvernance officielle par rapport aux tutelles et aux partenaires. Et il y a une gouvernance informelle à créer, qui nous parait beaucoup plus importante pour la réussite de cet endroit, de ce lieu, pour qu’effectivement les acteurs, nous en l’occurrence des étudiants ou des juste-après étudiants, puissent s’approprier les lieux et faire des choses. C’est aussi un vrai enjeu." Catherine léger-Jarniou

Les tiers-lieux décloisonnent et bousculent les politiques publiques, souvent pensées en silo. 

"Je me souviens en 2010 quand je suis rentré, j’avais assisté à une première réunion de ces PAM qui étaient là pour aider les personnes dans les villages à accéder au numérique. La grande question c’était certes ils arrivaient à aider les populations au numérique, mais très vite ça devenait : comment je peux t’aider à trouver un emploi ? comment je peux t’aider sur une question sociale ? ça ne rendait pas ce service-là. Il y avait une grande détresse des animateurs et il fallait réfléchir à comment apporter plus de services et mieux aux citoyens au niveau des collectivités locales, et au niveau des politiques d’Etat. C’est là qu’est né je pense l’idée des Maisons France Service qui font que, sur fond économique d’optimisation hélas, l’idée est aussi d’apporter le service public au plus près des citoyens." Jean-Laurent Vellutini

De fait, l'Etat et la Collectivité de Corse essaient de penser autrement, de s'approprier la pensée "tiers-lieux", avec les projets de création de Maisons France Service ou de Case di i territorii. L'objectif est que ces projets soient pensés et conçus en complément des initiatives existantes et émergence sur les territoires, afin d'assurer un maillage équitable du territoire, et l'accès aux services pour tous. Ce qui devient important pour l'Etat alors, c'est moins d'être le pilote des initiatives, que d'être le garant des valeurs de la République, de l'égalité des droits et des devoirs des habitants. 

La prolifération des initiatives (19 aujourd'hui en Corse, 25 l'année prochaine, et après ?) pose finalement la question de leur concurrence et de leur pérennité. 

"On a besoin d’un maillage. On a besoin de réfléchir à ce que ça veut dire d’avoir des activités structurantes dans les territoires. Qu’est-ce qu’on a à partager ? et comment on s’y prend pour donner du sens à tout ça ? Je pense que c’est une vraie question à se poser dans les années qui viennent. Le risque est fort que se multiplient à l’envie, en particulier dans le milieu urbain où je ne vois pas de difficulté majeure, on va y arriver, et que dans le milieu rural, il y ait quelques endroits où certaines personnalités capables d’aller vers ce que Jean-Félix nous dit, c’est-à-dire de construire un projet, qui pourront s’en sortir. Je pense qu’on va avoir effectivement une sélection darwinienne de tout ça. Il y en aura qui réussiront. D’autres échoueront alors qu’il y aura peut-être de très bonnes idées qui vont se perdre dans ce méli-mélo. On pourrait peut-être essayer d’organiser tout ça et d’avoir une approche concertée, de ne pas seulement compter les émergences." François Casabianca (membre du CESEC, audience)

Une réponse à ce risque est la concertation, et pour les tiers-lieux, de se constituer en réseau. Se constituer en réseau, c'est mieux s'identifier, et s'assurer une cohérence et une cohésion dans le maillage territorial. 

Le Palazzu Nazionale, le fablab de Bastia et celui d'Ajaccio, l'AFPA d'Ajaccio se sont constitués en consortium pour être reconnus "Fabrique de territoire". Ce label permet d'être reconnu en tant que tiers-lieu. Et il a permis aussi d'embaucher une coordinatrice pour le réseau, Morgane Pasquali. Cela préfigure la constitution d'un réseau régional de tiers-lieux qui consolide le partage d'expériences et la mutualisation de moyens, notamment pour la formation des animateurs de tiers-lieux. D'autres actions peuvent être pensées ensemble. Cette mise en réseau peut aussi permettre de mieux accéder à l'information, de savoir à qui s'adresser pour de l'ingénierie (Corse Active pour l'Initiative par exemple) ou pour des soutiens financiers (Collectivité de Corse, Direction de l'aménagement du territoire par exemple). 

De la même manière, plusieurs espaces de coworking se sont fédérés en association, CORSICA COWORKING. 

"Notre but c’est aussi de réfléchir à un label, une charte qui pourrait apporter plus de cohérence à ce qu’est un coworking, non pas dans une logique d’exclusion, mais au contraire pour appuyer cette unité dans toute la diversité que sont les coworking. Et en entrant dans cette association, j’ai bien vu que la diversité, surtout dans les modes de gouvernance était bien là. Il y avait des coworking public, des coworking d’université, des coworking en association, des coworkings ruraux, des coworking en privé. La difficulté mais aussi l’intérêt de monter cette association, c’est de voir comment on peut travailler ensemble quand on a des logiques et parfois des buts différents."
Marie-Ange Filippi (présidente de CORSICA COWORKING, audience)

Sur le rôle de la recherche dans le développement des tiers-lieux : au lendemain de l'inauguration de la chaire MIT, qui héberge ce scontru dédié aux tiers-lieux, Graziella Luisi réitère son souhaite de créer des synergies entre acteurs locaux, chercheurs de l'université de Corse et d'ailleurs, pour contribuer à penser des tiers-lieux en symbiose avec leur territoire et moteurs pour un développement insulaire durable. 

"Nous ce que l’on souhaite, c’est d’impulser effectivement une dynamique en termes de recherche, de maillage de chercheurs sur notre université et avec d’autres universités (...), des chercheurs qui vont être avec nous justement pour nous aider à contribuer à ces travaux, ces travaux qu’on veut mettre au service du territoire : au service des collectivités, des élus, des porteurs de projet… Tout le but d’une journée de recherche comme celle-ci, au-delà même de cette journée de recherche, de journée de co-construction sur des thématiques fortes qui nous semblent prioritaires sur un territoire comme la Corse, c’est justement de nourrir la réflexion, de nourrir le débat et peut-être – osons le dire – une réflexion pour les politiques de demain. Avec toute notre modestie, et le travail de tout un chacun."
Graziella Luisi

Dans sa propension à produire de la connaissance, à générer des projets de recherche-action, la chaire pourrait contribuer à penser les modèles socioéconomiques que les tiers-lieux produisent, notamment dans les relations entre privé et public.

"J’arrive à ma question, qui me concerne directement pour le coup : depuis tout à l’heure, on parle de politique publique et d’initiative publique. Quand on est dans le privé, quand on est une structure privée, on se heurte aux limites du privé c’est-à-dire aux limites de la rentabilité. Et c’est une question qu’on n’a pas abordée. Je fais du social en ayant une entreprise privée, ce qui peut paraitre paradoxal, mais j’essaie d’avoir plus la logique social qu’une logique de rentabilité. Or, je me heurte à un mur qui est que je n’ai pas les mêmes moyens d’action. Alors j’ai plus d’autonomie et de rapidité que les structures publiques. Mais en revanche, j’ai moins de moyen d’action. Je ne peux pas répondre à des appels à projet, je ne peux pas recruter. Comment on peut concilier ces économies à deux vitesses ?"
Marie-Ange filippi (présidente de CORSICA COWORKING, audience)

Finalement, l'enjeu est fort, de contribuer à théoriser les modèles à l'oeuvre, à concrétiser les gouvernances partagées, et à paver les interactions entre citoyens et institutions de garde-fous salvateurs. 

Pour aller plus loin :

Contacter le consortium des tiers-lieux corses upalazzu@univ-corse.fr