Intelligence Artificielle et mutations au travail
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L’intelligence artificielle est une discipline qui remonte aux années 1950. Les moyens humains, financiers et technologiques n’étaient toutefois pas réunis pour permettre à la discipline de se développer à ce moment-là : on parle d’hiver de l’intelligence artificielle. Ces dernières années, avec la production et l’accumulation exponentielles de données d’une part et l’amélioration des technologies d’autres part (capacité de stockage des données, coût de stockage, etc.), les travaux sur l’IA reprennent avec force. Ils sont révélés au grand jour aujourd’hui avec la publication d’IA génératives comme Chat-GPT.
1. Comment l’Intelligence Artificielle (IA) fonctionne
L’IA touche aujourd’hui tous les domaines de la vie quotidienne. Elle connait diverses applications comme la production de contenu écrit ou audiovisuel, la sélection de contenu, l’identification de bancs de poissons en mer, de déchets satellites, la prédiction météo… Les algorithmes sont spécialisés dans une tâches ou une autres, et les méthodes (identification, génération) sont rarement compatibles les unes avec les autres.
Chat-GPT ou Dall-E sont ce qu’on appelle des IA génératives : elles vont analyser les données mises à leur disposition et en déduire des probabilités d’association, ceci dans un cadre de règles produit par l’humain.
En analysant les multiples photographies de la Corse, DallE déduit les probabilités d’association de couleurs entre pixels – par exemple, souvent il y a 60% de mer, 30% de ciel et 10% ou de maquis ou de plage ou de rochers - et propose donc une image qui respecte ces règles probabilités. « Pixel par pixel, on va rajouter une couleur qui ressemble à la mer qui ressemble au ciel. Qui ressemble à une montagne et ça va nous amener à gérer. Et des images qui sont vraisemblables » (Paul-Antoine Bisgambiglia).
Chat-GPT fonctionne de la même manière, non plus sur des pixels, mais sur le langage. Chat-GPT est entrainé pour trouver le mot qui le plus de chance d’apparaitre après le mot d’avant. Entraîné sur une grande partie du contenu d’internet, il a une capacité énorme de choix, et une syntaxe qui est meilleure que certains de nos étudiants à l’écrit.
Ces logiciels sont stupides : ils ne comprennent pas ce qu’ils produisent. Ce que Chat-GPT écrit, il ne le comprend pas, il n’en saisit pas le sens. Chat-GPT peut émettre des recommandations (mettre des gants, se laver les mains…) à la question « Comment ramasser les œufs de vache ? » ; l’algorithme ne décèlera pas l’absurdité de la demande. Nous sommes loin de ce qu’on appelle l’IA forte, c’est-à-dire d’une IA capable de saisir le sens des choses et d’avoir une conscience, des émotions. Ces IA ne créent rien, elles font de l’assemblage, du puzzle.
« Les modèles d'intelligence artificielle sont formés sur des données et utilisent ces données pour faire des prévisions ou pour prendre des décisions, proposer des décisions, donc les données utilisées pour entraîner un modèle si elles sont mauvaises, votre modèle sera mauvais. » (Paul-Antoine Bisgambiglia).
Quand les données ne sont pas représentatives d'un phénomène, d'une population, elles présentent des biais. Et les algorithmes les reproduisent. Racisme, misogynisme sont des biais que l’on peut retrouver dans les algorithmes.
Générer du contenu à partir de l’existant (internet) pose par ailleurs de vraies questions de respects des droits d’auteur, ce pour quoi l’Italie a officiellement interdit Chat-GPT.
2. Comment l’Intelligence Artificielle impacte le travail : tâches répétitives et création de richesse
L’IA est pensée comme un outil au service de l’humain.
Elle peut permettre de réaliser des tâches qui seraient impossibles, comme traduire une vidéo et la doubler en un autre langue (avec la voix de la personne originelle).
Elle peut aider à gagner en efficacité, par exemple pour un radiologue à détecter des cancers, mais il s’agit d’un outil à la disposition de l’humain, qui ne peut remplacer les interactions humaines.
Elle peut permettre de se défaire de tâches répétitives (gestion des mails, tâches liées à la création graphique) et donc améliorer la qualité de vie au travail. En ça, on ne s’oriente pas forcément vers le licenciement de personne, mais vers un gain de productivité et donc en gain de richesse.
La part de l’humain reste essentielle, dans la conduite de l’outil et dans les interactions humaines. Comme exposé par Andrea Colonna, Jelly Smack est une entreprise qui crée du contenu audiovisuel et accompagnent des producteurs de contenu sur internet (Youtube). Son équipe, spécialisée dans l’intelligence artificielle, mobilise près de 130-140 algorithmes dans son travail (pour de 30 salariés). Une partie de l’équipe est localisé à Corte, et a donné lieu à l’embauche de 6 ou 7 étudiants de l’université (soit 20% de son recrutement).
Un parallèle avec la révolution industrielle est possible : l’autonomisation a remplacé de nombreux travaux manuels liés à des tâches répétitives, peu qualifiées et donc des métiers pénibles. Avec la révolution numérique et l’IA, ce sont des métiers plus intellectuels qui sont potentiellement et qui vont potentiellement être impactés : journalisme, infographie, traduction, finance, santé, éducation, informatique… L’IA pourrait par contre conduire à la suppression des « bullsiths jobs » (David Graeberg). On évolue probablement vers une transition douce, notamment parce que la conception d’algorithmes est extrêmement coûteuse, du coût des machines, à la recherche et l’entrainement.
Dans l’entrainement des IA, il y a aussi une part d’humain cachée : c’est l’expertise humaine qui aide à définir les critères de choix, à orienter les prises de décision. Avant que Chat-GPT ne paraisse, des personnes étaient payées 2$ de l’heure pour évaluer les phrases produites par l’algorithme.
3. Comment l’Intelligence Artificielle impacte la créativité et les compétences humaines
L’IA, dans la gestion des données qu’elle requiert (stockage, traitement, etc.), donne lieu à l’expression de nouvelles qualifications et à la production de nouveaux métiers. Dans cette perspective, une nouvelle spécialisation data devrait ouvrir à Corte en septembre 2022.
Selon Andrea Colonna, « les IA génératives vont commencer à remplacer les outils qui permettaient de passer de l'idée à la réalisation. » Dans la génération d’images, la personne ne travaillera pas sur un logiciel graphique mais commandera une IA, guidera le logiciel selon ses attentes. « On a toujours besoin d'experts, pas forcément pour créer, mais pour juger ce qui a été créé et le faire corriger. L'évaluation, c'est ultra important ».
L’enjeu est dès lors de s’interroger de comment la créativité évolue, du rôle de notre bagage culturel dans la création.
Comme le témoigne une architecte dans l’assistance, les nouvelles générations semblent aussi évoluer vers un usage plus équilibré du numérique dans leur travail. « Moi, je suis dans un métier en temps architecte où effectivement j'ai utilisé par rapport au dessin à la main, j'ai vu les avancées que pouvaient donner tous les supports informatiques et des logiciels pour la construction et la facilité du travail que ça pouvait donner. Ce qui m'interpelle aujourd'hui, c'est qu’effectivement, vous l'avez d'ailleurs très bien dit, ça ne réfléchit pas, ça articule des données. Ça reste l'humain qui doit donner le sens, et aussi il n’y a pas d'intuition par rapport à ça. C'est peut-être là que la créativité a sa place, c'est à dire qu’on peut avoir 10 000 schémas devant nous qui correspondent à un plan, mais ce n’est pas forcément le plan qui correspond à celui qu'on a envie de faire. Aujourd'hui, c'est assez intéressant de voir que les étudiants en architecture viennent très largement dessiner à la main, pour aller plus vite. Je m'interroge par rapport à ça, alors qu'à un moment, tout le monde dessinait avec le logiciel qui arrivait à donner l'illusion du vrai, avec des maquettes numériques et cetera. Maintenant, pour faire sentir le vrai, un dessin est plus imaginatif et on fait mieux comprendre ce que serait la réalité. C'est mon interrogation de revenir en arrière, peut-être en tout cas d'avoir un balancier entre les avancées. Je viens de passer 10 jours avec des jeunes architectes qui finissent l'école et ils dessinent tous à la main, alors que dans le fond, dans ma génération, c'était le début de l'informatique et on était avec l'informatique. »
Dans la continuité de cette idée, il est essentiel de s’interroger sur la façon dont les étudiants utilisent ces IA génératives et sur la façon dont cela va impacter leur façon d’apprendre.
4. Le défi de l’acculturation au numérique
La mutation dans les compétences et notre approche du métier en proximité avec l’IA passent aussi par une meilleure connaissance et compréhension de l’IA, dès le plus jeune âge.
Selon Paul-Antoine Bisgambiglia, « la France a raté le virage de l'informatique, notamment parce que l'éducation nationale ne s’est pas tourné assez rapidement vers ces nouveaux métiers, ces nouveaux usages. Dans plusieurs pays, aujourd'hui, ce n’est plus simplement lire à prendre compter, ces lire, apprendre à compter, programmer. Programmer, ça permet de comprendre la machine et ça permet d'avoir du recul sur les usages. Alors peut être que l'intelligence artificielle, donc les aspects éthiques, il faudra être encore plus vigilant. »
Programmer c’est comprendre comment ça marche, identifier les problématiques attenantes, comprendre ce qu’on peut attendre d’un algorithme ou non (vraisemblance versus vérité). On aboutit depuis quelques temps à des machines qui présentent des puissances de calcul qui dépassent l’entendement humain, et dont la complexité des algorithmes ne les rend plus (facilement) explicables. Là où ce phénomène peut générer de la peur, il s’agit aussi pour tout un chacun d’identifier les leviers d’action : « Tous ces algorithmes-là ne marchent qu'en probabilité mais on sait très bien les contrôler, c'est-à-dire que on sait très bien faire en sorte que le réseau de neurones aie le comportement qu'on veut. Sinon, il ne serait pas aussi performant. Oui, on ne sait pas contrôler comment ça fonctionne, mais par contre on sait très bien la sortie. » (Andrea Colonna)
Directeur de la SITEC (dont l’un des cœurs de métier est le stockage de données, en Corse), Nicolas Andrei insiste aussi sur la nécessité de gagner en souveraineté dans la gestion des données et donc de travailler à l’acculturation des élus à la question numérique et de l’IA. « J'ai lu il y a peu qu'il y a 55% pardon des personnes aujourd'hui qui sont réticentes à l'intelligence artificiel, toutes générations confondues. Par contre, il y a plus d'une entreprise sur 2 qui serait prête aujourd'hui à investir dans l'intelligence artificielle. Donc, c'est un petit paradoxe qui montre que véritablement, depuis quelques mois et à mon avis, pour très longtemps, l'intelligence artificielle et l'intelligence artificielle génératrice, je dirais vont rester au cœur de nos sociétés modernes. » La SITEC a participé à la création d’un European Digital Innovation Hub, projet sur 7 ans composé d’acteurs privés insulaires, afin de créer un catalogue de services pour aider à la transformation et à la transition numérique des collectivités et des PME de l’île.
Pour aller plus loin :
- Le support de présentation de Paul-Antoine Bisgambiglia