Compte-Rendu de la journée
Les besoins en termes d’habitat évoluent. La société occidentale a changé et, avec elle, les façons de se loger et d’habiter un quartier, un village… un territoire. Les générations ne cohabitent plus. Les familles monoparentales deviennent la norme. Le logement n’est plus seulement le lieu où l’on dort, mais aussi où l’on se divertit, où l’on (télé)travaille. La population vieillit et les personnes vieillissantes souhaitent rester autonomes le plus longtemps possible chez elles. La transition énergétique impose aussi de penser et d’occuper son logement avec sobriété et efficacité, tout en intégrant de nouvelles fonctions (la production d’énergie) et de nouveaux usages (alimenter sa voiture électrique par exemple). Le dérèglement climatique rappelle à la constance du changement, à l’évolution des conditions de notre habitat : températures extrêmes, crises climatiques (inondations, feux…) imposent de penser des logements qui soient résilients. À l’heure de l’anthropocène, l’impact de l’homme ne se limite pas au changement climatique mais aussi à l’artificialisation des sols et des milieux. Il est temps de (re)penser un habitat plus en phase avec notre écosystème, qui s’y intègre. Des études de l’ONU habitat montrent que le rapport des individus à leur habitat évolue : 6 français sur 10 souhaitent effectivement être plus proches de la nature ; les aspirations à plus de proximité avec les services, à plus d’autosuffisance se multiplient. Des initiatives expérimentales font la démonstration de l’intérêt de nouveaux modes d’habiter (voir les figures de l’habitat proposés par R. Besson en introduction générale). Demeure la question de leur généralisation.
Le modèle de l’habitat reste encore en majorité fondé sur le logement individuel pavillonnaire. Est-ce par ce modèle que la société peut s’engager dans un futur habitable, souhaitable ?
En Corse, les inégalités sociales se creusent et se doublent d’inégalités géographiques. Le parc de logement actuel corse est surdimensionné, parce que la taille des ménages évolue et qu’on construit plus gros que ce dont on a besoin (perspective locative). Les résidences secondaires et meublés touristiques se développent. En 2019, on compte ainsi 340 000 habitants pour 255 000 habitations, ce qui correspond à 1,3 personnes par logement (c’est peu). Les documents d’urbanisme comptabilisent 10 000 hectares de zones constructibles ce qui permettrait de doubler la population actuelle. Les logements vacants sont aussi nombreux et également répartis sur l’ensemble du territoire : ils sont 30 000 d’après les données fiscales, dont 10 000 depuis plus de 5 ans.
Toute la complexité du logement est qu’il se situe à l’interface entre la propriété privée et le territoire (quartier, village) qui est, lui, commun. Cette interface est soumise à forte tension dans notre société individualiste.
Habiter durablement demain repose sur la nécessité d’une révolution culturelle (voir temps 3 de la journée), révolution qui touche plusieurs aspects :
- (R)Évolution dans les usages : nous devons faire avec moins (sobriété) et partager équitablement nos ressources, nos espaces ;
- (R)Évolution dans le rapport à l’habitat – à l’autre, au milieu, etc. : nous devons retrouver des formes de solidarité au sein de notre société et nous réancrer à notre milieu ;
- (Re)apprendre à vivre ensemble : habiter mieux, c’est redonner aussi plus de place à des espaces où cohabiter, vivre ensemble.
Des organismes travaillent ainsi sur la réactivation de ces valeurs, sur l’appropriation de ces enjeux par la société insulaire (ordre des architectes, maison de l’architecture corse ou SPL Ametarra par exemple). Loin de constituer de véritables ruptures, ces changements reconnectent avec une forme de bon sens qui a pu prévaloir auparavant (traditions constructives, choix des matériaux de construction, densification urbaine, mise en culture de la périphérie des villages…) et le réactivent dans notre société moderne face aux enjeux actuels et à venir (exemple de l’habitat temporaire, des défis imposés par les mobilités et la proximité des services, projection sur l’évolution climatique et rapport aux îlots de chaleur, etc.) (voir temps 2 de la journée).
Il existe par ailleurs des mesures politiques sur lesquelles appuyer un tel changement :
- La politique du zéro artificialisation nette (ZAN) et les documents de planification tels que le PADDUC, qui renvoient aussi à une nécessaire sobriété dans l’artificialisation des sols, à une réflexion sur la coexistence des usages et fonctionnalités des lieux, entre espaces urbains, nourriciers, naturels.
- La programmation pluriannuelle de l’énergie (Corse) qui repose sur l’autonomie énergétique à l’échelle de l’île à l’horizon 2050, autonomie qui passe par :
- L’incitation à l’usage de sources d’énergie renouvelable et l’amenuisement des sources d’énergie carbonée telles que le fioul et le gaz de ville
- La sobriété, et donc, notamment, la rénovation des bâtiments individuels et collectifs.
Pour chacune de ces politiques, les entraves existent, mais les démarches sont amorcées et les handicaps d’hier sont peut-être des leviers d’action pour aujourd’hui.
« Quand j’ai commencé à travailler, on parlait toujours du désordre immobilier de la Corse, qui était un frein à toute chose. Aujourd’hui, c’est peut-être une chance pour les collectivités d’aller récupérer des biens, parfois à l’abandon voire qui sont devenus sans maitre. Pour pouvoir proposer du logement abordable. » Ghjulia Maria Defranchi (AUE)
Aussi est-il nécessaire d’infléchir les logiques de développement en Corse vers une rationalisation des constructions au profit de l’existant et d’une consommation plus raisonnée de l’espace.
Ces changements requièrent une évolution des métiers du bâtiment dont le moteur bifurque de la construction à la rénovation (cf. événement Capenergies - rubrique aller plus loin). Des entreprises émergent et s’affirment, proposant de nouvelles approches (fabrication de systèmes thermodynamiques complexes alliant différentes sources d’énergie et stockages), des matériaux différents et innovants (voir temps 1 de la journée). D’autres modèles socioéconomiques se développent comme celui d’Energie partagée (Energia Nostra), soit des projets d’énergie renouvelable ou d’autoconsommation portés par des citoyens. Dans cette transition, la technologie présente un double visage (efficacité versus éthique, rapport à la sobriété, coût et exclusion sociale) avec lequel imaginer l’habitat de demain avec précaution. Elle ne peut pas tout : il est nécessaire de penser l’habitat avec des matériaux qui durent, qui sont réutilisables ou recyclables; matériaux dont la difficulté renvoie à la nécessité actuelle de construire ou reconstruire des filières d'approvisionnement.
Rénover son habitat repose sur des investissements de taille, et souvent sur l’appui de la puissance publique pour être adoptées à grande échelle. Or, la complexité des procédures, tant sur les aides que sur le choix des matériaux et des entreprises, constitue un frein, notamment pour les petites communes ou les propriétaires de résidences individuelles ou collectives qui peinent à finaliser leur projet. Différents organismes et initiatives visent à éclairer les décideurs et à les accompagner (projet CONCERTO RENOV, CAUE, Rénover pour demain).
Pour aller plus loin :
- Le replay de la journée et les supports de présentation et pistes d'approfondissement associés
- Evénements associés
- Capenergie - Journée décarbonation du bâtiment en Corse (15/02/2024)
- Chaire
- Le podcast du LUCAS (disponible aussi sur Spotify)
- RadioFrance