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Compte-Rendu de la journée
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Compte-Rendu de la journée

Cette journée inaugure un cycle de conférences / débat organisé sur le changement climatique et l’urgence pour les acteurs du territoire de le prendre en compte pour se projeter dans le futur et agir. Le constat du changement climatique est aujourd’hui établi (cf. travaux du GIEC). Ses effets sont observables par tous. L’enjeu est désormais d’identifier les transitions à mettre en place pour s’y adapter, voire l’atténuer dans la mesure du possible. Pour cette première journée, nous nous intéressons aux expressions les plus médiatisées du changement climatique : les crises liées aux événements climatiques hors normes.
Si ces crises ont toujours existé, qu’elles relèvent de la qualité de l’air, de tempêtes et orages, de feux (voire de méga-feux), d’inondations et de crues ou de submersions marines, elles sont, aujourd’hui plus que jamais, sous étroite surveillance. Le changement climatique participe à accentuer l’intensité des crises de ce type et leur fréquence. L’enjeu est donc de protéger les populations et les biens en cas de crise, puisque ce n’est pas possible de les empêcher. C’est ce qui justifie le développement de travaux scientifiques et opérationnels sur la problématique du risque environnemental, c’est-à-dire notre capacité à prédire (tant que possible) l’avènement de crises liées à notre environnement et à les gérer.

Cette journée, réunissant acteurs du territoire et chercheurs de Corse et du continent, a permis de faire ressortir plusieurs éléments clés dans la gestion des risques environnementaux, dans l’état des connaissances sur les risques et le rôle de l’IA dans les travaux actuels et à venir. En effet, la mise en sécurité des personnes et des biens repose sur plusieurs enjeux :

  1. Mieux prévoir pour mieux gérer

Jusqu’à il y a peu, la prévision météorologique et climatique reposait exclusivement sur des « modèles physiques » (tels qu’AROME ou ARPEGE), c’est-à-dire des modèles alimentés par des équations conçues par les scientifiques (météorologues en premier lieu) afin de rendre compte des phénomènes météorologiques observés. L’augmentation des connaissances sur le climat et la météo d’une part et la croissance exponentielle du nombre de données d’observation d’autre part ont permis d’améliorer progressivement ces modèles, de les rendre plus proches de la réalité et d’affiner la maille géographique à laquelle ils s’appliquent. Pour autant, ces modèles tournent sur des machines qui nécessitent beaucoup d’énergie et de temps pour produire des résultats.

Avec l’augmentation du nombre de données, l’intelligence artificielle (IA) devient une approche intéressante dans ce cas. L’IA repose ici essentiellement sur des méthodes d’apprentissage profond (sur la base de réseaux de neurones) : le modèle est nourri de données à partir desquels il va établir des relations d’interdépendances et produire ce qui lui est demandé, soit ici de la prévision. Beaucoup plus rapide, les modèles d’IA permettent d’obtenir des résultats dans des pas de temps intéressants (d’une dizaine de minutes à quelques heures) compte tenus des contextes d’urgence qu’imposent les crises environnementales (rapidité de propagation d’un feu, violence d’une tempête…).

Si des méthodes de prévision du temps tournent entièrement à partir d’IA, de nombreuses questions restent encore à résoudre, en premier lieu celle de l’interprétabilité des modèles et donc de la robustesse des résultats produits. En effet, les circuits logiques par lesquels passe un modèle d’IA de type réseau de neurones pour produire un résultat sont complexes et nous sont inconnus. Une seconde incertitude tient au fait que les modèles d’IA sont entrainés à partir de données existantes. Comment seront-ils capables de rendre compte de l’occurrence d’événements extrêmes qui sont par essence rares et donc peu présents dans les bases de données d’entrainement ? De même, comment être en mesure de rendre compte de l’augmentation de l’intensité des événements rares, c’est-à-dire d’événements inédits par leur violence ? C’est une problématique sur laquelle se penchent des chercheurs actuellement.

Une approche qui s’affirme ces dernières années consiste à continuer d’utiliser des modèles physiques et de les optimiser par des méthodes d’intelligence artificielle. Cela permet ainsi d’améliorer la finesse géographique et temporelle des modèles de prévision et de traitement des données à moindre coût.

Toujours est-il que le climat est un phénomène chaotique par essence et que notre capacité à prévoir n’atteindra jamais les 100%. C’est d’ailleurs un aspect intégré par les chercheurs qui adoptent de plus en plus une approche probabiliste (il est probable à X% de faire ce temps, ou ce temps), plutôt que déterministe (il va faire ce temps). Dans tous les cas, il est essentiel de bien préparer les populations et les territoires à cette part d’imprévisible.

  1. Partager une culture du risque… et du changement climatique

L’affirmation du changement climatique comme un phénomène avec lequel vivre impose à tous d’en connaitre les enjeux et les expressions. Lorsqu’il s’agit de risques environnementaux, la population doit effectivement prendre la mesure de ce que ceux-ci soulèvent comme menace pour leur vie, avant de menacer leurs biens. « Il faut qu’on soit tous persuadé que le risque auquel on est exposé et en train d’augmenter et avoir les comportements adaptés. C’est très compliqué de s’en persuader : la vigilance orange de 2016, les crues en Espagne ou le medicane de 2015 sur Nice, les gens vont chercher leur voiture dans les … C’est très difficile de se contraindre et pourtant c’est un volet absolument essentiel d’ans l’adaptation au risque majeur et dans un système d’alerte précoce. »

L’occurrence d’un phénomène climatique, aussi violent soit-il, n’aura pas les mêmes effets sur le territoire suivant sa vulnérabilité au dit risque : comment le milieu et la population sont exposés à la crise et comment c’est impacté. Par exemple, un sol incendié récemment laisse plus facilement s’écouler l’eau et peut donc être un facteur aggravant dans le cas de crues. De même, l’imperméabilisation des sols du fait de l’urbanisation empêche les sols d’absorber l’eau et de jouer leur rôle de tampon en cas de pluies intenses. L’enjeu est donc de bien structurer les réponses immédiates aux crises, mais aussi de se projeter sur comment améliorer la résilience du territoire face au changement, et l’aménager en conséquence.

En cas de crise, l’élu communal est souvent en première ligne. Il doit prendre des décisions immédiates dans des conditions anormales, inédites et parfois dramatiques (mise en jeu de vies humaines, pertes matérielles conséquentes). Une fois la crise passée, et de manière générale, l’élu et son équipe se trouvent confronter à des situations complexes, où ils doivent penser l’aménagement du territoire en tenant compte de phénomènes et de politiques nationales parfois perçues comme contradictoires. « On nous demande de planter des arbres (population demandeuse et c’est une mesure prônée dans le cadre du changement climatique), mais un expert nous dit que la ressource en eau s’appauvrit et que les sécheresses vont se multiplier. Les forestiers eux même ne savent pas quelle essence planter et à quel endroit. » À cette fin, même si la solution n’est pas parfaite, l’amélioration de la connaissance de la circulation de l’eau dans les territoires et de sa cartographie peut aider à faire les « bons choix » et désimperméabiliser les sols, planter de la végétation là où l’eau circule, notamment en cas de forte pluie. De même, la compréhension de la constitution des îlots de chaleur en ville peut aider à penser la densification des villes et l’aération des quartiers et des bâtiments.

  1. Il n’y pas de gestion du risque environnemental au service du territoire sans coopération

Agir pour la résilience des territoires impose finalement d’y dédier du temps et des moyens. C’est aujourd’hui un point d’achoppement au niveau des collectivités locales : « Tout doit être traité par les communes dans un contexte économique difficile. Diagnostic, solutions, moyens. Tous les gens autour de cette table savent que ça va coincer au niveau des moyens. Déjà au niveau des solutions on n’est pas tous d’accord, mais au niveau des moyens on sait qu’on va avoir un problème. » Des démarches sont toutefois entamées. Au sein de l’AUE, un lourd chantier de cartographie est en cours de finalisation. Il permet de connaitre en détail l’occupation du sol et son évolution, afin d’anticiper certains aménagements, mieux les choisir, et donc d’accompagner les communes et intercommunalités dans la gestion de leur territoire. En plus de recueil de données par des entreprises, d’autres organisations comme le BRGM ou l’Office de l’Environnement capitalisent un ensemble de données permettant de mieux connaitre le territoire, qu’elles soient notamment relatives à l’évolution du trait de côte ou aux mouvements gravitaires (crues, éboulements de terrain, etc.).

Par ailleurs, l’université de Corse a entamé une stratégie de transfert de connaissances plus en phase avec les enjeux du territoire : essayer de produire des modèles, des simulations (feux notamment) qui soient plus à même de répondre rapidement à des besoins finalisés, opérationnels et donc mobilisables rapidement par les acteurs du territoire.

Autrement dit, le changement climatique impose de coordonner les forces de tous les acteurs du territoire, au-delà du champ de la prévision météo. Il y a plusieurs scénarios, il y a de l’incertitude sur ces scénarios et sur lequel va finalement aboutir. « On travaille tous les uns à côté des autres. L’objectif d’avoir une information commune et une mise à disposition de cette connaissance au service de tous. Il faut qu’on arrive à aller plus loin dans le sens de la mutualisation des données, dans la construction de plateformes d’échange. » Il s’agit non seulement de partager les données qui permettent de suivre le changement climatique et la résilience du territoire, mais aussi de pouvoir les suivre et les discuter collectivement, de partager des perspectives d’action. Plusieurs intervenants ont finalement appelé de leur vœu la création d’un observatoire régional sur le changement climatique ou d’un GIEC régional. Affaire à suivre.

Pour aller plus loin :